Gérard Klein – éthique et vie professionnelle

Transcription de la vidéo

Est-ce que vous pensez qu’il y a, sur le plan éthique, des difficultés spécifiques au métier d’acteur ?

On vous demande d’avoir, entre « moteur ! » et «coupez !», un comportement, dire des mots, avoir des gestes, des sentiments. Enfin, faire sortir des sentiments ou donner l’impression en tout cas qu’on est habité par quelque chose, qu’on a un but, qu’on a une envie, qu’on est un personnage qui existe avec un passé, qu’on est plein, alors qu’on est…, on est vide. Pour s’emplir de l’autre, il faut que ce soit pour moi complètement inconscient, pour qu’on ait un grand vide en dedans et que d’un seul coup, on s’emplisse. Moi, c’est avant ou après que ça me perturbe, mais pendant, ça fait un drôle de truc, c’est un truc très bizarre. Pour arriver à cette espèce d’état de vide total instantané, ça peut provoquer chez des gens des vraies perturbations, avant, parce que c’est inconnu. On ne sait pas si on va y arriver, c’est peut-être comme du yoga non maîtrisé, et ça fait que les gens sont souvent chiants, parce qu’ils ont peur. C’est sans doute l’un des métiers les plus difficiles, pour conserver un sens d’éthique.

Et deuxième chose, très grave, c’est que l’acteur est flatté, l’actrice est flattée, en général, par les gens qui l’entourent : maquillage, coiffure, costume, machin… Ça commence le matin, on la dorlote, on dit : « Ah ! Tout va bien ? » J’avais tourné avec Romy Schneider, et l’inquiétude elle était de Claire Denis et de Frau Denis, qui était l’assistante. Tous les matins, elle avait la trouille, elle me disait : « Pourvu qu’elle ait bien dormi, pourvu qu’elle soit de bonne humeur ! » Parce que le film repose en plus parfois sur des gens, sur une personne, le pognon a été trouvé sur un mec ou une gonzesse ! Donc, c’est sûr qu’au niveau de l’éthique, les mecs ont cramé ça, parce que c’est la star et que le mec est tout le temps flatté. C’est perturbant d’être flatté : « Dis donc Gérard ! Super ! Oh la vache ! C’était bien ! » Il y a des moments où tu as envie de leur mettre des baignes ! « Lâchez-moi la grappe ! » Moi, je vivais tout seul, je m’enfermais tout seul, dans ma chambre. A sept heures du soir, j’avais fini de tourner, je me faisais une salade, je ne voyais personne ! Parce que les gens qui t’aiment bien dans la rue, c’est vachement sympa, mais c’est quand même encore un peu de la flatterie. Alors au bout d’un moment, tu crois que tu es un mec bien, tu es un mec important, et le plus dur, c’est ça aussi, c’est la flatterie des gens de télé, des journalistes : « Ah ! Formidable ! » et tout. Donc, ça, ça éloigne complètement de l’éthique ! C’est dur !

Et puis il y a d’autres personnes. On parlait des politiques, ce n’est même pas la peine d’en parler, eux c’est vraiment le contraire… Mais comédien ou comédienne, ce n’est pas facile. En plus il y a le théâtre, il y a le cinéma, il y a la télévision, il y a des tas de choses, il y a les spectacles de rue. Il y a la frustration, il y a celui ou celle qui est persuadé qu’il est ou qu’elle est un acteur ou une actrice extraordinaire, mais évidemment, personne ne le fait bosser : « C’est tous des cons, et tout ! » Donc, ça éloigne complètement de l’éthique. Les autres on n’en a rien à branler, puisqu’on est tellement préoccupé par soi ! Comédiens, comédiennes, les gens sont vachement préoccupés par eux, eux-mêmes. Ils voient leur tronche dans la rue, on leur file plein de tunes en leur disant : « Vous êtes formidable ! » Et puis on est latins, on y croit, nous, à ces trucs-là !

Moi, je trouve ça génial ! Etre vivant, je trouve ça extraordinaire ! Parce qu’on peut tout ! On peut tout ! Mais moi, ce que j’aime bien, c’est dormir, bien, manger, pas trop – quand on travaille je veux dire –, boire de l’eau, et arriver pas zen, mais arriver bien quoi, de bonne humeur, content de voir tout le monde, tout va bien, un peu au ralenti, comme si on était au ralenti. Et comme ça, quand on te demande un truc, au moins tu es réceptif, et tu as peut-être une chance de comprendre ! C’est compliqué, hein ?!

Est-ce que cette manière de pratiquer de l’éthique nécessite une sorte d’attention à son entourage ?

Ça oui ! Ça nécessite d’être attentif. Les comportements changent. Il suffit de faire des tests : si tu bois dix-huit verres de pinard, tu n’as plus du tout la même conception de l’éthique, bon… Tout ça est vachement intéressant, parce qu’on peut essayer, on peut voir, on peut se transformer ! Mais dans des moments où on se sent bien et calme, je trouve ça vachement agréable de réfléchir, de gamberger. Moi j’aime bien… À cheval on est bien pour ça ! Physiquement, c’est bien, quand on fait un effort, donc on ne fonctionne plus de la même manière, l’irrigation du cerveau n’est plus tout à fait la même… Pourquoi les gens font Compostelle ? Je veux aller à Compostelle depuis des années, je crois que j’irai. Quand on marche comme ça si longtemps, évidemment on se transforme ! On transforme la chimie, c’est de la chimie aussi. Même si c’est de la réflexion, et même si… c’est quand même des contacts électriques et des trucs comme ça ! Donc on peut aussi jouer là-dessus. Mais moi, ce qui m’amuse, c’est de jouer là-dessus sans produit pour altérer ça. C’est-à-dire avec rien !

Comment est-ce que vous gérez votre popularité ?

Je trouve touchant, attachant et touchant le fait que par le métier que j’ai fait, en réalité, on va dire que je suis populaire, entre guillemets, mais... Hier, j’ai vu Vincent Lindon, que je connais pas plus que ça. Ça fait deux fois qu’on se croise. On sortait d’un bistrot avec Jérôme, Françoise et l’un des scénaristes. Il était assis, il buvait un coup, il m’a attrapé par la manche, il m’a dit : « Viens, assieds-toi ! » Et moi, je l’aime vraiment ce mec-là ! Et puis en fait, on se connaît pas, je l’aime bien, je lui ai dit : « Écoute, ça me fait plaisir, je t’aime bien ! » – « Moi aussi ! » il me dit, et puis alors il me dit : « Et dans la rue, les gens, ils te font quoi à toi ? » – « Ben, je dis. Moi, dans la rue, les gens me touchent, ils s’arrêtent et ils me disent : Oh ! super ! On t’aime bien et tout… » Et puis… : « Ça te saoule pas ? » – « Ben, ouais, si ! Et puis je dis : Quand ils me saoulent, je dis : Mais arrête, tu me saoules ! » Parce que ce genre de communication, c’est particulier quand même.

Entretien réalisé le 2 novembre 2007

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