François Goulard – transmission de l’éthique

Transcription de la vidéo

Pensez-vous qu’il est possible de sensibiliser les enfants aux questions d’éthique et de quelle manière ?

Oui, bien sûr. J’évoquais un souvenir d’enfance, de morale. J’en ai un autre très curieux, mais c’est encore une histoire extrêmement simple. L’instituteur nous dit : « Combien y-a-t-il de piliers qui supportent le préau de la cour ? » Il interroge les élèves et nous donnons tous des réponses différentes : certains disent trois, quatre, cinq, six… et il y en avait, je ne sais pas…, cinq. Donc on a l’impression de dire la vérité, et la vérité n’est pas toujours ce qu’on pense, en toute sincérité. Voilà des exemples qui sont très simples, qui sont accessibles aux enfants, qui vous marquent pour une vie et qui ensuite vous permettent de comprendre ce qu’est un faux témoignage. Mais un témoignage sincère qui est inexact… Bref, je suis persuadé que l’éducation évidemment, puisque c’est un âge où on acquiert des choses qui nous resterons, l’éducation a un rôle évidemment fondamental. Il faut toujours bien distinguer le droit des familles et j’allais dire le droit de l’État ; c’est quand même à la famille d’éduquer, ça n’est pas à l’État d’éduquer. L’État éduque par l’Éducation nationale, mais c’est quand même la famille qui est première. En tout cas, c’est ma conception.

C’est vrai que la manière dont l’Éducation nationale est organisée a des conséquences, bien sûr. Quand vous avez, cela arrive, des enseignants qui se comportent mal à titre personnel face à leurs élèves, ça a de lourdes conséquences. Prenons le cas d’un enseignant qui est laxiste, pas très courageux, qui regarde sa montre pour savoir quand il pourra sortir, quel mauvais exemple ! Quel mauvais exemple ! Je ne dis pas que tous les élèves vont être de ce fait fainéants pour la suite de leur vie, mais c’est vrai que le comportement des enseignants a des conséquences. Il faut être attentif à ça. Cela ne condamne pas les enseignants. En revanche, le système doit être fait pour que les enseignants, autant que possible, se comportent bien. Il faut toujours penser que quand vous prenez une population donnée, il y avait le pourcentage irréductible de héros et de saints, le pourcentage peut-être pas irréductible de gens qui, de toute façon, vont tirer au flanc ou mal se conduire, et puis les autres dont le comportement va dépendre aussi de la situation dans laquelle on les met. Si on sait motiver – ce qu’on fait dans les entreprises par exemple, et ce qu’on fait mal dans la sphère publique –, si on sait motiver les enseignants, leur donner de vraies responsabilités, faire en sorte qu’ils voient le résultat de leur travail, etc., on peut avoir un meilleur comportement, et c’est bon pour l’éducation. C’est incontestable pour l’instruction, c’est-à-dire l’apport de connaissances, et aussi pour l’éducation. Donc, vaste sujet, mais qui est un sujet réel. L’éducation ça compte, bien sûr, et l’État doit faire en sorte que les enseignants soient bien dans leur métier d’enseignant à titre personnel, se réalisent eux-mêmes pour donner un exemple positif aux enfants. Je crois que ça compte beaucoup et actuellement la situation n’est sûrement pas satisfaisante. Ce n’est pas un procès fait aux enseignants, c’est un procès fait au système, quand ça va ou quand ça ne va pas.

Vous pensez que la valeur d’exemplarité des enseignants a un rôle primordial ?

C’est un aspect de la question. Alors, doit-on avoir une morale à l’école ? On a de toute façon une morale. Un professeur d’histoire enseigne, qu’il le veuille ou non, qu’il le sache ou non, une morale. Quand il présente des événements de notre histoire, il a une manière de le faire, même s’il fait un effort d’objectivité, de montrer le bien et le mal, quelquefois en se trompant. Mais qui peut prétendre détenir la vérité ? Donc la morale n’est pas absente de l’enseignement, elle ne peut pas l’être, y compris dans la science. Moi je crois qu’il y a une morale de la science : la morale de l’honnêteté, de la remise en question, de l’humilité, de la remise en question personnelle. « Je suis arrivé à ces résultats, mais sont-ils définitifs ? N’ai-je pas oublié ceci ou cela ? Est-ce que j’admets la remise en cause ? Est-ce que j’admets la confrontation avec les autres ? » Il y a une morale de la science. Donc tout ça compte, bien-sûr.

Je ne suis pas certain qu’on puisse facilement le mettre dans les programmes, parce que je me méfie beaucoup du formalisme en la matière. En revanche c’est bien réel et la formation, le recrutement des enseignants doit intégrer cela, mais c’est très difficile à formaliser. On parle dans les entreprises de ce qu’on appelle « la culture d’entreprise », c’est-à-dire un certain nombre de valeurs – des valeurs qui n’en sont pas toujours –, de règles, de manières de se conduire, etc., qui font la personnalité d’une entreprise. Il y a une culture de « l’entreprise Éducation », une culture d’un organisme public, d’un service public, et cette culture évolue dans le temps. Il est incontestable que la culture des enseignants du début du XXème siècle est assez différente de celle de ce début du XXIème siècle. Oui, l’éthique y trouve sa place et ça a une influence évidemment sur l’éducation qui est donnée.

J’ai le souvenir d’enseignants, en tout cas du primaire, qui avaient une haute idée de leur tâche et qui étaient des modèles. Pour certains de vrais modèles, pour d’autres il y aurait à redire. J’ai le souvenir dans le secondaire, un peu moins mais un peu. Dans le supérieur c’est moins clair : là c’est beaucoup plus intellectuel quand il y a des modèles.

Et ça compte, oui, et il faut être très attentif à la manière dont évolue la culture d’un grand service comme l’Éducation.

En tant qu’homme politique intervenant notamment dans les questions éducatives, vous êtes-vous intéressé aux programmes scolaires susceptibles de sensibiliser les enfants du primaire à l’éthique ?

Je pense qu’une philosophie expliquée aux enfants… Je m’explique : la philosophie aujourd’hui c’est en terminale et c’est vu finalement très vite, et c’est vu à travers les grands auteurs. On aurait une philosophie simple, expliquée peut-être plus tôt aux enfants, pour qu’au moins ces questions-là, je dis bien les questions – les questions sont au moins aussi importantes que les réponses qu’on y apporte chacun –, qu’il y ait une sensibilisation à ces questions d’ordre philosophique, oui, ce serait pas mal. Mais je ne suis pas assez pédagogue pour savoir comment on peut le faire. En tout cas, que ces questions-là soient posées assez tôt devant les enfants, je trouve que c’est bien. Alors je ne dis pas que ce n’est pas fait, parce que tel enseignant le fera éventuellement dans son cours, mais c’est vrai que c’est important.

Entretien réalisé le 15 novembre 2007

 

 

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