François Goulard – éthique et vie professionnelle

Transcription de la vidéo

Quelle place tient dans la vie d’homme politique l’image qu’on donne aux autres ?

C’est un sujet assez difficile en politique, parce que c’est vrai que l’image compte énormément ! J’allais dire de plus en plus, peut-être pas parce que finalement l’homme politique a toujours eu une image et aujourd’hui elle se fait, elle se défait à grande vitesse avec la médiatisation qui est omniprésente. Donc un homme politique est un homme d’image.

On a envie de donner une image, on est animé par le goût de donner une certaine image ou non, et ça je pense que c’est vraiment une question de caractère : on est extraverti ou plutôt timide, on est toujours un peu les deux. Vous avez des gens qui adorent se mettre en vedette et, d’une certaine façon, se donner le beau rôle. Ceux-là n’ont pas de problèmes ; l’image, ça nourrit quelque chose de naturel et quand je dis image, c’est évidemment la bonne image.

Personnellement je suis plutôt d’un tempérament assez timide, même si ça ne se voit pas trop. En tout cas, étant jeune, j’étais assez timide. Je ne suis pas très porté à me mettre en avant comme ça, il faut qu’il y ait de vraies raisons. Donc la question de l’image est relativement difficile, parce qu’il faut toujours faire une espèce d’effort sur soi-même pour penser qu’on donne une image de soi qui n’est pas la manière dont on se voit soi-même. Et ce décalage est permanent. Une prise de position, c’est à la fois une conviction, du moins il faut l’espérer ; c’est toujours un acte créateur d’image et les deux ne sont pas toujours en accord ! Vous prenez une position, elle vous paraît conforme à ce que vous pensez juste, mais vous savez – parce que vous avez l’habitude – que dans l’opinion ça va être vu négativement. Donc là il y a quelque chose qui joue en permanence quand on a le souci de ses convictions, et en même temps qu’on est conscient que l’image a une importance considérable dans la vie publique. Et puis c’est vrai qu’à trop ignorer l’image qu’on donne on sort très vite de la vie publique, et donc on ne peut plus rien faire. Ainsi, les problèmes éthiques sont évacués faute de combattants, si j’ose dire. C’est un sujet qui est assez constant et il m’a fallu beaucoup de temps pour admettre que mon image avait une importance.

Quelles sont les difficultés spécifiques de votre statut d’homme politique en matière d’éthique ?

Difficultés spécifiques…. plus ou moins spécifiques. Nous sommes souvent des décideurs. Tout le monde est plus ou moins décideur, mais quelqu’un qui prend des décisions lourdes a évidemment plus de sujets éthiques que d’autres. Ce que je dis n’est peut-être pas juste à vrai dire, parce qu’après tout, dans la vie quotidienne, ce n’est pas le montant financier qui compte, ce n’est pas le nombre de gens concernés. Non, j’ai tort de dire ça ! En tout cas, comme on prend des décisions souvent, on est confronté à des problèmes d’éthique. On a peut-être plus de tentations que d’autres, ça c’est possible, c’est très possible : faire plaisir à telle ou telle catégorie, parce que ça aura un avantage par la suite, ça c’est vrai et c’est réel ! Et puis il y a cette question de l’image que l’on donne, parce qu’il faut se faire élire pour pouvoir faire quelque chose en politique, et se faire élire, c’est se faire apprécier pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Les mauvaises raisons sont généralement plus accessibles que les bonnes, donc il faut donc apparaître comme quelqu’un de sympathique, s’intéressant au sort des autres quelles que soient les circonstances et faisant mine d’agir pour eux. C’est quand même la tentation permanente du politique.

C’est vrai que tous les matins on a des problèmes d’éthique, que l’on tranche plus ou moins. Il faut, je crois, admettre que tout politique triche, le politique triche. Il y a les petites tricheries, qui à mon avis sont admissibles, mais il y en a d’autres qui sont inadmissibles. Quand on répond à quelqu’un et qu’on est très attentif à son problème, même si on considère qu’au bout du compte il n’a pas forcément raison, c’est une petite tricherie qui peut relever de la courtoisie et de la politesse. Le politique est obligé de le faire plus souvent qu’un autre, parce qu’il est plus souvent sollicité. On répond rarement à quelqu’un : « Vous exagérez, votre situation est déjà privilégiée, ne venez pas m’ennuyer avec un avantage que vous allez perdre, regardez par rapport aux autres ! » On dit ça assez rarement, ou si on le dit, on tourne un peu ses phrases ! Donc, petite tricherie, qui fait partie du jeu et je dirais presque de la vie sociale. Grande tricherie, c’est défendre des causes qui ne sont pas défendables et aller loin dans cette défense-là.

Là encore il y a des gradations, et on est plus ou moins convaincu. Je ne veux pas jeter la pierre à ceux qui croient devoir faire quelque chose. Je vais prendre une illustration : on parle de la carte judiciaire et de sa réforme, puisqu’à deux pas d’ici on vote le budget de la justice et il y a des députés qui s’insurgent contre la fermeture d’un tribunal chez eux. Certains sont parfaitement convaincus que c’est un tort, qu’on va affaiblir leur ville, leur région, etc. D’autres sont modérément convaincus, mais pensent que c’est un exercice obligé pour que, en tant qu’élus, ils soient appréciés et estimés de leur population. Là, on est limite, on est vraiment limite ! Qu’il y ait des exercices obligés pour être élu, oui, parce que les gens l’attendent de l’élu et ne comprendraient pas qu’il ne prenne pas ces positions. Mais de là à faire du zèle quand on n’est pas vraiment convaincu que c’est une juste cause… C’est là qu’on a des arbitrages à faire ; et ça c’est permanent. Je dirais que dans la vie d’élu, ce qui est  probablement le plus permanent c’est cette relation avec les autres, puisqu’on est sous le feu des projecteurs. On a des positions publiques à prendre, à afficher, alors que beaucoup de gens n’ont pas à dire à tout instant ce qu’ils pensent et pourquoi ils font ceci ou cela, et on est en décalage avec ce qu’on pense juste ou moins juste. Ensuite il y a aussi les jeux tactiques. Nous ne sommes pas des saints et nous ne sommes pas des innocents, personne ! Y compris ceux qui se comportent le mieux dans ce monde politique !

Que pensez-vous de l’existence éventuelle de conseillers en éthique dans le cadre de la vie politique, et notamment de la vie municipale ?

C’est une idée intéressante. Ma réaction, c’est : ça peut être très bien, mais il ne faut pas que ce soit l’oreiller de paresse pour l’éthique personnelle, et c’est vrai pour beaucoup de choses. Vous avez un souci de contrôle, de ceci ou de cela, vous créez un contrôleur ou une procédure. C’est bien parce que vous avez identifié le risque, mais d’une certaine manière, après, on se repose sur la procédure et on se dit : « Je n’ai plus à faire attention, parce qu’il y a la procédure. » Là, c’est un peu pareil.

Donc le conseiller d’éthique c’est bien, si ça aide un certain nombre de gens à prendre conscience. Il arrive qu’on doute, donc aller voir quelqu’un qui est un référant et qui peut vous éclairer, c’est une bonne chose. Cependant ça ne doit pas être le prétexte pour se sentir déchargé de toute responsabilité personnelle, parce que c’est quand même ça le fond. Quand on parle d’éthique, on parle de sens personnel de la responsabilité. Donc, bien, mais surement pas tout seul ; ça ne suffit pas. Ça peut être très bien et je crois qu’on a intérêt à fixer – chacun est libre – des règles de comportement pour les élus. Probablement nous avons encore en France, je dis bien « encore », un peu trop de permissivité en la matière. Là-dessus il faut être très rigoureux, même au-delà de ce qui paraît indispensable. Par exemple, quand on accepte une invitation à déjeuner d’une entreprise, on n’est pas vendu pour autant ; cependant, à mon avis, il vaut mieux ne même pas accepter cette invitation.

Entretien réalisé le 15 novembre 2007

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