François Goulard – éthique et société

Transcription de la vidéo

Pensez-vous que l’état d’esprit de la société d’aujourd’hui favorise les comportements éthiques ?

Oh ! Je réponds sans réflexion « non ! », mais ça mérite certainement réflexion. D’abord, notre société est quand même une société d’apparence. Les modèles que nous donnons ne sont pas toujours des modèles exemplaires, si je peux me permettre cette expression. La télévision, en l’occurrence, joue un curieux rôle. C’est quelque chose qu’on a à l’esprit : un de nos contemporains, moyen, passe plusieurs heures de sa vie devant la télévision chaque jour, et c’est probablement la partie de sa vie où il pourrait être le plus disponible. Le travail est quelque fois répétitif, ennuyeux, pas toujours agréable, on le quitte, on rentre chez soi et on est devant le poste de télévision. Et là, les modèles véhiculés par la télévision ne sont pas des modèles toujours parfaitement recommandables. Donc notre société, aujourd’hui, n’incite pas à l’éthique, d’abord parce que malgré toutes les difficultés que connaissent certains de nos compatriotes, on a quand même une relative aisance. On vit relativement protégé du malheur ; je dis bien relativement parce que les malheurs ne sont pas seulement d’ordre matériel. Donc tout ça ne pousse pas spontanément au respect des règles éthiques, mais ça mériterait plus de réflexion parce qu’après tout, peut-être la tentation est-elle le meilleur moyen de comprendre qu’on peut avoir un comportement éthique ou non. À discuter ; cependant, je dirais que le vrai mérite n’est pas toujours récompensé et le faux l’est souvent.

Comment pourrait-on rendre la société plus éthique ?

Difficile… L’éducation, au sens large. En même temps, je suis libéral de conviction, et il ne s’agit pas pour moi de dire que la société doit dicter aux familles la manière dont l’éducation des enfants doit se faire. Il est vrai que la tendance n’est sans doute pas très positive, il faut bien le dire. Les enfants, dans ma génération par exemple, ont été plutôt mal élevés. Alors ça peut plus ou moins donner de bons résultats. Moi j’ai des enfants qui, je pense, se comportent plutôt bien et on ne les a pas vraiment…, on ne leur a pas toujours donné les exemples et les règles qui convenaient. C’est assez banal ce que je dis, mais je pense que c’est vrai.

Ce n’est sûrement pas à l’État de dicter aux familles leurs comportements, et en même temps le politique a toujours une vertu exemplaire. La manière dont il se comporte retentit sur la société, de même que la société retentit sur son comportement. Il y a une interaction permanente. Ce n’est sûrement pas la clé de tout, mais un politique qui essaie de se comporter bien, et surtout qui donne plus dans la sincérité que dans le maquillage, c’est déjà ça. Ça ne règle pas tout, mais c’est déjà ça. Une société où l’on place les gens devant leurs responsabilités en même temps qu’on ne les condamne pas quand ils ont échoué, c’est une société qui favorise des comportements éthiques supérieurs, me semble-t-il. C’est-à-dire qu’à la fois la société déresponsabilisante – une société de type communiste, où chacun a son sort qui est réglé d’avance, son logement fourni et son travail également –, je ne suis pas sûr que ça favorise les comportements éthiques. Une société qui dit : « Mon vieux, tu n’as pas réussi, tant pis pour toi, tu n’avais pas les qualités pour ça, tu restes au bord du chemin ! » n’est pas non plus un bon exemple. Donc je pense que la manière dont on organise la vie sociale a – ce n’est sûrement pas le seul facteur, loin s’en faut –, mais peut avoir une influence sur l’éthique. Au-delà, c’est chacun de nous.

Est-ce que les médias ont un rôle à jouer ? Comment pensez-vous qu’ils devraient évoluer ?

Comment ? Je vous retourne la question, c’est-à-dire comment ? Il y a la solution à écarter, c’est-à-dire un État qui régenterait les médias, c’est la pire des choses. Favoriser une concurrence au bon sens du terme au sein des médias, c’est-à-dire éviter le média public exclusif, parce que ça, il y a toujours des dérives et des dangers. Éviter aussi la position dominante de médias par trop animés par des considérations strictement commerciales, et de parts de marché, d’audience, etc. La pluralité, la diversité en matière de médias comme en matière culturelle, c’est mieux que l’uniformité, qu’elle soit imposée par le marché ou par un mauvais fonctionnement du marché, ou par l’État. Mais on ne résout pas tout comme ça. Après, on retrouve toujours la question personnelle : est-ce que celui qui réalise une émission pense aux conséquences de ce qu’il va montrer ? Ou est-ce qu’il est exclusivement animé par le souci de faire un chiffre d’audience ? On n’évite jamais l’influence personnelle de chacun. Je ne crois pas qu’il y ait de société qui puisse évacuer cela.

Faudrait-il intégrer des critères éthiques dans le cadre de la nomination de responsables du service public ?

Ça, c’est un autre sujet pour ce qui relève de l’État. Quand il y a des responsables qui sont nommés par l’État, il est évidemment mieux qu’ils soient choisis indépendamment de considérations partisanes ou de relations. Et donc, dans ce cas-là, d’avoir un conseil qui fait écran entre le pouvoir et les médias pour les nominations de dirigeants ou de responsables, c’est bien. Qu’il faille intégrer des critères d’éthique, c’est toujours le danger. Il y a de vrais dangers, parce que l’éthique ne se décrète pas et ne se présuppose pas. Je pense que l’éthique fait partie de la qualité des programmes. Quand on interroge une télévision qui a un projet d’implantation à tel endroit et qui demande à pouvoir installer des émetteurs, je dirais que dans la qualité des programmes, ça va de soi, : les programmes de qualité sont des programmes qui ne vont pas inciter à la violence, à la malhonnêteté, etc. Mais, il faut faire attention aussi : on ne doit pas tomber dans « Si vous n’avez pas votre quart d’heure moralisateur sur la chaîne, on ne vous prend pas », parce que ça c’est aussi  extrêmement dangereux. Donc le sujet n’est pas facile.

Entretien réalisé le 15 novembre 2007

 

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