François Chilowicz – transmission

Transcription de la vidéo

Est-il important de motiver les jeunes à des valeurs éthiques ?

Ça serait la seule chose qui ferait que je pourrais me dire que ça sert à quelque chose de vivre. Quand je dis que je n’ai pas vraiment d’espérance et que l’humanité pourrait s’arrêter comme ça, oui, enfin aucun intérêt, oui, je suis d’accord, je reste là-dedans. Maintenant si on arrivait à constituer une humanité plus intelligente, plus créative, plus respectueuse, plus durable… Enfin, je trouve ça beaucoup plus positif de construire ensemble, que de détruire un peu pour construire un peu plus, grosso modo, si on voit comment se fait l’histoire. Là, l’humanité pourrait créer du beau dans sa pensée. Donc effectivement je pense que ça fait partie des rares raisons pour lesquelles je veux bien avoir un peu d’espérance, si on décidait vraiment d’instruire la jeunesse à ces notions d’éthique. Après ça dépend de ce qu’on y met. L’éthique des religieux n’est pas la même que l’éthique du républicain, que la mienne, qui est une éthique encore différente. Moi je parle vraiment de cohérence. Cohérence et cohésion, et durabilité. C’est vraiment les trois mots. Ce qui n’est pas forcément l’éthique du religieux qui, lui, est dans la morale, ou dans la tradition qu’il faut perpétuer, alors ça, je ne sais pas. Je ne vois pas en vertu de quoi on devrait perpétuer quelque tradition que ce soit. Je vois juste qu’on doit faire ce qu’il faut pour que ça se passe bien, là, maintenant et demain aussi.

Comment peut se transmettre l’éthique ?

Par initiation. Je ne pense pas que l’éthique s’enseigne. Tout simplement parce que… La morale s’enseigne. Les règles. Je me dis, l’idée que je me fais de l’éthique est beaucoup plus complexe qu’une morale avec des règles qu’il faut suivre ou ne pas suivre, des préceptes qu’il faut ériger ou pas, même si je comprends l’utilité, ne serait-ce que pour faire des lois, sur la médecine ou autre. Mais l’éthique est un état d’esprit qu’on capte et qu’on réinvente en permanence. La différence… La morale, qui peut être ça, mais qui est plus des règles, etc. qu’on ne transgresse pas. Or pour avoir cette créativité de l’instant, cette intelligence de tout moment pour avoir conscience de l’ensemble, avoir conscience que chaque cellule de notre corps est reliée à la totalité de l’univers, c’est ça en gros, ça signifie, ça veut dire, c’est qu’on le vit au jour le jour avec quelqu’un qui est comme ça. Quand je vous parlais…, quand je donne l’exemple de ma fille, qui a toujours eu cet intérêt du collectif, on ne lui a pas dit. Il se trouve que je suis un peu comme ça, il se trouve que sa mère est énormément comme ça, et que ça s’est fait naturellement. Ça n’a jamais été formulé, elle l’a vécu, elle a reproduit des gestes, c’est une posture comportementale à l’autre, enfin quelque chose qu’elle a développé naturellement.  Je crois qu’on n’a pas d’autre solution. Quand je bosse dans les quartiers sensibles avec les jeunes qui sont, certains sont durs quand même, ont une violence, peuvent tuer pour un mauvais regard, quand même. Donc l’éthique on en est loin, quoi ! Ils ont une agressivité très forte, une colère très dense, une victimisation incroyable : ils sont toujours victime de l’autre, ce qui leur donne toute légitimité à agresser. Comment désarmer cette attitude agressive et négative à l’encontre d’autrui ? En leur faisant la morale : alors là on rentre dans des arguments. On va dire que « le Prophète a dit ça » et moi je vais dire que « la République a dit ça », etc. Non ! Si par contre ils me voient moi me comporter différemment, ils voient que je suis honnête, que je ne leur mens jamais, que j’ai toujours le sourire et que ce n’est pas un faux sourire, quand je ne suis pas content je le dis aussi, je suis tout le temps transparent et clair, ils se disent : « Ah, ce type est transparent et clair » parce que ça par contre ils le sentent, et petit à petit ils ont envie d’être transparents et clairs avec moi naturellement. Et petit à petit ils construisent avec une personne une relation qui est claire et transparente et ils voient que c’est possible. Alors ils vont se dire : « Ce n’est pas possible avec tout le monde ». Je ne sais pas ce qu’ils vont se dire, d’ailleurs, je  ne sais pas jusqu’où ils vont l’explorer, mais j’ai toujours, dans mes films, dans les relations que j’ai avec les protagonistes, j’ai toujours réussi à tourner l’a priori, l’attitude, la posture des gens par un comportement que je leur donne, et en général c’est celui de l'honnêteté. Donc je crois que c’est en se comportant de cette façon qu’on va changer le monde. Ce n’est pas en… L’éducation sert, évidemment, enfin c’est la culture qui sert surtout, qui donne des outils, mais plus on a de connaissances, plus on a d’outils pour décrypter en temps réel et se servir intelligemment de son intelligence. Mais c’est plutôt par diffusion. Je pense que quand je fais un truc bien, je ne m’attends pas à avoir un truc bien en retour de cet endroit-là où je l’ai fait, mais je sais qu’en soi j’ai fait un truc bien, et que du bien circule, et que quelque part il arrivera quelque part et que moi aussi de temps en temps je reçois du bien. Je ne cherche pas à relier l’un à l’autre, mais je sais que dans le grand système ils sont forcément en lien.

Entretien réalisé le 20 janvier 2015

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