François Chilowicz – sensibilisation

Transcription de la vidéo

Qu’est-ce qui vous a sensibilisé à la question de l’éthique ?

Qu’est-ce qui a pu me rendre sensible à la question de l’éthique ? Ben je n’en sais rien. C’est, ça s’est posé doucement, petit à petit, progressivement. J’ai une fille, par exemple, qui a dix-huit ans maintenant, et je l’ai vue toujours, dans sa classe, être soucieuse davantage de l’intérêt du groupe : qu’est-ce qui allait faire bouger le groupe plutôt que son intérêt à elle ? C’est dans son tempérament, elle est comme ça.  Je me dis qu’elle a une certaine éthique en elle. Je ne lui en ai jamais parlé, je le lui ai dit : c’est en elle. Donc ça se transmet, ça s’infiltre, c’est beaucoup plus diffus. Ça c’est une première chose. Après il y a un élément d’histoire personnelle, qui est typique de ce que les psys adorent décoder : c’est que je suis d’origine juive, d’une famille entièrement décimée par la Shoah. Mes quatre grands-parents sont d’origine polonaise, juive polonaise. Ils ont perdu tous leurs frères et sœurs. J’ai souvent dit que la première religion à la maison c’était plutôt la Shoah que le judaïsme, et je crois qu’à travers mes parents, sans doute, une certaine culpabilité du survivant a dû s’exprimer en me disant : « Si je suis vivant après toutes ces horreurs, à quoi ça sert ? »  À partir de là, ça ouvre la porte à toutes les questions d’éthique. Ma vie doit servir à quelque chose. Alors je ne suis pas missionnaire, je ne me sacrifie pas pour les autres, je ne me dévoue pas. Je n’y crois pas à ça. Mais malgré tout ma vie doit avoir… on n’a pas survécu pour rien. Je me sens survivant à travers eux. On n’a pas survécu pour rien, quel est le sens ? Voilà, je pense que c’est ce qui a ouvert les questionnements d’éthique.

 Avez-vous fait des rencontres déterminantes en matière d’éthique ?

Je n’ai pas l’impression d’avoir de grands maîtres à penser ou de… J’ai rencontré des gens qui m’ont fortement impressionné, mais des fois juste en bas de chez moi. C’est-à-dire qu’il y a des niveaux… J’ai aimé deux femmes dans ma vie, par exemple. Chacune des deux – la deuxième je l’aime toujours, d’ailleurs –, mais chacune des deux m’impressionne terriblement sur le rapport qu’elles entretiennent à la vie. Quand la relation de couple est bonne, ce qui est le cas la plupart du temps, je les observe vivre dans ce qu’elles sont, dans une forme d’altruisme et de sollicitude pour l’autre, qui est un petit peu plus féminin que masculin. J’apprends des choses. Aujourd’hui encore, même après quinze ans de vie commune. Donc voilà… J’ai vu des gens très beaux, des gens magnifiques, des gens qui m’ont fait rêver, des personnes résilientes […]. Oui, ça, ça me donne des modèles éthiques. Après, les penseurs, oui je peux retrouver Edgar Morin, qui va évidemment me donner des éléments intellectualisés et qui me donne de l’argument, des structures intellectuelles pour m’en servir, mais l’inspiration première c’est…  Vous savez, un de mes premiers documentaires c’était sur la forêt des Vosges, et j’ai vécu pendant cinq ans dans la forêt des Vosges, dans une vieille maison chauffée au bois, avec les bûcherons. J’allais couper du bois avec les bûcherons, je vivais, j’étais bûcheron un peu. Je n’avais rien à faire là, ça ne me ressemble pas du tout, et avec ces types-là j’ai appris des choses extraordinaires sur le rapport au temps, sur le rapport à l’ensemble, sur le rapport à la cohésion, etc. Quand on les interviewe à la télévision, ils n’ont pas forcément le langage articulé qui laisse penser qu’ils sont intelligents. Dans la réalité ils ont l’intelligence de la vie, qui est extrêmement profonde et qui me parle autant que les plus grands savants ou penseurs.

Entretien réalisé le 20 janvier 2015

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