Claudie Haigneré – éthique et vie professionnelle

Transcription de la vidéo

J’entends dans vos propos que le travail éthique serait une sorte de combat gagnant-gagnant…

C’est vrai que ce rapport éthique n’est pas au détriment de soi-même. On ne doit pas se diluer dans quelque chose qui est uniquement au service de la dignité de l’autre et de son respect. Moi je conçois effectivement des avancées où chacun se supporte, parce que la vie n’est pas toujours facile. Se supporte au sens de to support en anglais, pour donner un appui pour accompagner. Donc c’est effectivement quelque chose qui est dans un respect intime et une dignité, je pourrais dire un peu magnifiée, parce que l’autre la regarde avec cet œil-là. Ça c’est tout à fait sûr. Moi dans mon esprit, l’éthique c’est pour qu’ensemble on soit encore plus vertueux et mieux dans sa pratique.

Aimeriez-vous évoquer une situation, un dilemme d’ordre éthique auquel vous auriez été confrontée en tant que ministre de la Recherche, et comment vous l’avez résolu ?

J’ai une pratique qui m’a été parfois un petit peu difficile parce que j’avais l’impression qu’on n’arrivait pas justement dans une relation gagnant-gagnant à extraire pour chacun quelque chose qui était un intérêt général partagé. Ça c’est mon travail de ministre de la Recherche ou de ministre des Affaires Européennes, dans un Conseil Européen, où vous avez vingt-sept états membres avec des cultures différentes, des approches différentes et des valeurs qui parfois sont quand même un petit peu avec des nuances, et où vous devez prendre une décision la meilleure possible pour l’ensemble du groupe. Et c’est parfois pas facile de se dire qu’on est encore dans des situations où on va bloquer un processus, alors qu’il aurait fallu avancer, que ce soit d’ailleurs sur des aspects de travail sur les cellules souches. Ça a été des discussions interminables sur lesquelles on n’est pas arrivé à avancer au niveau des Conseils européens, ou d’autres domaines où on a donc cette frustration d’être obligé de rester en retrait pour respecter l’autre et que ce n’est pas satisfaisant de rester en retrait.

D’un autre côté, mon expérience de scientifique et de médecin est intéressée par le fait que la science ce n’est pas que du pouvoir, c’est aussi de la sagesse. C’est de la sagesse qui nous vient de l’histoire. On voit bien des démarches scientifiques qui ont eu un mal fou à sortir comme étant des…, par les Galilée ou reconnues par d’autres. Donc, on a cette réflexion à avoir sur la difficulté parfois de faire avancer certains messages, même si on a la certitude. Qui détient la vérité ? Je ne sais pas dire, en tout cas on essaie d’enlever l’impossible et puis de concevoir l’inconcevable, et de concevoir ce qui peut-être sera le vraisemblable de demain. C’est un peu ça le rôle du scientifique. Alors parfois on se sent un peu bouillir, parce que, pour respecter l’autre individuellement ou l’autre collectivement, pour être dans cette pratique la plus éthique possible, on a parfois l’impression qu’on est en deçà de ce qu’on pourrait être. Alors bon, j’ai essayé de me battre dans certaines circonstances mais c’est quelques souvenirs de frustration de mon activité ministérielle avec un ensemble de partenaires.

Quand on se bat ainsi au nom de l’intérêt général, ne faut-il pas parfois faire « passer  en force » une décision lorsqu’on sait en toute conscience qu’elle est la plus juste et la plus bénéfique pour tous ?

C’était exactement le propos de ce qui est entre responsabilité et conviction. Donc il y a effectivement cette responsabilité de faire progresser. Et ensuite, dans ce qu’on peut appeler un devoir de parole et un devoir de conviction, il faut être le plus performant possible. Agressivité n’est peut-être pas un mot que je souhaiterais employer ; en tout cas ne pas le faire avec arrogance, et ça je le dis aussi parce que dans un milieu qui était le mien, c’est parfois un mot qu’on affiche avec les politiques d’une « arrogance dans la prise de décision », et donc pas comme ça, mais plutôt par la conviction et le travail de conviction. Ça prend toujours du temps. Donc le temps est un des éléments qui fait que vous pouvez faire bouger les variables de liberté et de marge qui sont les vôtres. Il faut prendre du temps parfois.

Entretien réalisé le 9 octobre 2008

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