Christian Boiron – sensibilisation à l’éthique

Transcription de la vidéo

Qu’est-ce qui vous a sensibilisé à la question de l’éthique ?

Je pense que j’ai été marqué, et je pense que c’est peut-être notre époque, notre génération qui veut ça, par justement le sentiment que les règles qu’on nous donnait n’étaient pas les bonnes règles. Je pense à 68. Petite révolution, plus ou moins bien comprise et avec plusieurs facettes. Mais c’est une révolution contre quoi ? C’est une révolution contre deux choses. La première et essentielle que j’ai repérée bien après, c’est : « Le bonheur est possible ici et maintenant. » Alors que la morale de l’époque c’était : « Baves-en des ronds de chapeau sur terre et tu auras le paradis après ! » Et ça puait l’exploitation, quelque part. Et ce n’était pas cohérent. J’avais l’image déjà à l’époque qui était l’idée que l’homme courait derrière un train mais qu’il avait déjà dépassé la gare depuis longtemps ! Nos ancêtres se sont fait suer, ont survécu dans des conditions inimaginables depuis 40 000 ans pour nous céder la capacité d’être heureux, que nous n’utilisons même pas. Toutes ces règles au sortir de la guerre – qui n’était pas très loin encore pour les Européens –, de souffrances, d’obligations, de contraintes, ça ne nous apparaissait pas juste. Et tout cela, c’était sous l’égide de la morale. Donc très tôt j’ai été confronté, sans forcément en prendre totalement conscience à ce moment-là, à une révolte contre la morale ambiante. Et donc la conviction qu’il fallait… et non pas la conviction justement qu’il fallait lui opposer une autre morale, parce que cela, je n’y ai jamais cru, mais prenons une autre attitude et en particulier l’attitude qui consistait à faire davantage confiance à l’individu et à prendre davantage conscience de la différence de chaque individu et de la richesse de chacune de ces différences.

C’est progressivement que j’ai travaillé sur ces notions-là, qui ont été pour moi renforcées par la notion d’homéopathie, et donc la notion de la médecine en général, mais la médecine qui est confrontée à la même problématique : soit médecine collective de masse, soit médecine de l’individu, les deux ayant probablement leurs intérêts, leurs limites, mais de plus en plus la médecine devant devenir la médecine de l’individu. C'est-à-dire que chaque individu ne fait pas la même grippe, ne va pas faire les mêmes maladies, a besoin d’autre chose, etc. Donc vouloir donner le même médicament à tout le monde, la même thérapeutique, voire même le même médecin à chacun est très probablement une erreur. Donc toutes ces notions-là je les ai travaillées au niveau de la médecine, comme je les ai travaillées au niveau philosophique, comme je les ai travaillées au niveau managérial. Là encore, il y a trente ans, j’ai développé la notion d’individualisation de la gestion du temps de travail. A une époque où on parlait déjà de réduction du temps de travail, je disais : « Ce n’est pas la réduction qui est intéressante, c’est l’individualisation. On n’est pas obligé de donner le même temps de travail à chacun. Il faut qu’on s’adapte. » Nos entreprises deviennent de plus en plus capables de gérer la complexité, donc l’individualisation. De la même façon que nos entreprises deviennent capables de gérer l’individualisation des clients. Chaque client est différent, chaque patient est différent, chaque salarié est différent, chaque citoyen est différent. Prenons conscience et gérons cette différence. Nous sommes capables aujourd’hui de le faire. Donc cette notion d’éthique est venue progressivement.

J’avais le nez dans le guidon au niveau social, ensuite j’ai eu le nez dans le guidon au niveau scientifique et médical et puis progressivement je me suis échappé du pragmatisme pour rentrer dans le philosophique, et c’est ce qui m’a amené à écrire un premier bouquin qui s’appelait Et si nous pensions autrement la vie ?, puis à rentrer en politique. J’ai été adjoint au maire de Lyon, chargé de l’économie et de l’international pendant quelques années, et après, j’ai travaillé sur la notion de bonheur. C’est progressivement que j’ai rencontré ces notions d’éthique, qui ont été de plus en plus débattues. On m’a invité à des colloques sur ces notions-là, notion de pouvoir, notion de responsabilité, notion d’éthique, et progressivement j’ai intégré ces concepts dans ma propre expérience, dans ma propre réflexion.

Entretien réalisé le 11 décembre 2007

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