Christian Boiron – éthique et maîtrise de soi

Transcription de la vidéo

Comment apprendre à gérer nos pulsions d’agressivité et d’égoïsme ?

Tous les dysfonctionnements de l’homme se font au détriment de son bonheur de sa capacité de jugement, de son bien-être physique aussi, et également du bien-être physique et spirituel et mental des personnes qui l’entourent. Donc, nous devons savoir gérer les perturbations, les turbulences. Nous sommes des êtres de turbulence. Que faire ? Je pense que l’expérience, la réflexion, la connaissance nous amènent à être plus efficaces. Il y a des astuces, il y a des trucs. Si je suis en colère, je ne suis pas en colère contre vous. Quand on connaît le mécanisme de la colère – et c’est ce que j’ai essayé d’expliquer à travers les connaissances scientifiques actuelles – on sait que c’est en fait nos deux cerveaux qui sont en conflit interne. On a deux cerveaux qui pensent. On a trois cerveaux : un qui est physique, l’autre qui est réflexe, et l’autre qui est réflexif. Le physique n’intervient pas, mais le cerveau réflexe, celui des conditionnements, et le cerveau qui pense, l’intelligence, droite et gauche, sont quelquefois en opposition. Quand ils sont en opposition, il y a émotion : colère, abattement (dépression) ou anxiété (peur, agitation). Et quand je suis dans ces émotions, je sais que je ne suis pas moi-même. On dit : « Je suis hors de moi. » Si je dois prendre des décisions, et particulièrement des décisions éthiques, mes quelques décisions, je sais qu’elles seront mal prises. La première chose à faire quand je suis comme ça c’est de me dire : « Je me mets au repos, je vais essayer de retrouver mon calme, je vais essayer de retrouver mes baskets. » « Il est bien dans ces baskets, ce gars » Eh bien oui, il est bien dans ses baskets parce qu’il y travaille. Cela se travaille le fait d’être bien dans ses baskets. L’éthique aussi passe par l’intelligence, la formation à l’école, le fait de bûcher, de voir comment cela marche un mec, que ce n’est pas tout à fait la même chose qu’un oursin et que ce n’est pas inutile de savoir des choses.

Ces astuces, j’en cite beaucoup dans mon bouquin, c’est la culture du silence. Le silence nous permet de nous retrouver. Donc, il faut savoir faire silence en soi, il faut savoir ne pas prendre des décisions sous le coup de l’émotion, etc. Bien entendu, si je le fais, je risque d’être anti-éthique, je risque d’être anti-bonheur, je risque d’être non-authentique.

Pourriez-vous mieux définir ce concept d’authenticité qui semble un concept clé pour vous, car il semble qu’on puisse le confondre avec d’autres notions ?

Il y a des confusions terribles, bien sûr, et c’est pour cela que cela m’a amené à ciseler toutes ces notions pendant vingt ans. Mais on confond souvent l’authenticité et la spontanéité. Il y a plusieurs pièges énormes : il y a le piège de l’émotion, la recherche des émotions en disant : « Les émotions, c’est le sel de la vie. » Non, erreur ! Les émotions sont des guides qui nous permettent de savoir qu’on est en train de faire un conflit interne. Mais on va mettre une bonne quinzaine d’année avant d’accepter ça. Ensuite la notion de l’authenticité, c’est donc la spontanéité. « Moi je suis très spontané, donc je suis authentique » Pas du tout, puisque la spontanéité est mise en jeu par le cerveau réflexe, qui est le cerveau des conditionnements. Si je réagis spontanément à quelque chose, je réagis de façon conditionnée à ce quelque chose. Si on m’a appris à me conduire d’une certaine façon, je vais me conduire de cette façon-là. Je serai réflexe, je serai conditionné, je serai spontané, je ne serai pas authentique. L’authenticité, elle se travaille. Et l’authenticité en particulier est l’acceptation de la complexité. La différence entre ces deux cerveaux, entre ces deux pensées – et cela c’est Jacques Fradin qui y a beaucoup travaillé et avec lequel j’ai énormément travaillé aussi –, c’est la notion que, quand on est dans une pensée réflexe, c’est une pensée qui est rigide. Quand on est dans une pensée néocorticale, c'est-à-dire intelligente, elle est souple et elle est marquée par la complexité. Edgar Morin parle de la complexité. Le monde ne devient pas plus complexe, l’homme accède chaque jour davantage à cette complexité de la nature et de la réalité humaine. Et l’acceptation de cette complexité dans notre vie quotidienne, comme l’acceptation du doute, fait partie de la pensée intelligente. Alors que la pensée réflexe, limbique c’est : « Bon alors, il faut que les choses soient claires. C’est blanc ou noir ? »

L’éthique intègre la complexité. L’éthique ne peut pas se satisfaire de simplisme. Tout est simple mais rien n’est simpliste. Tout est complexe, rien n’est compliqué. Donc il faut à la fois se méfier du compliqué et du simpliste. La clé, et en particulier la clé de l’intelligence et la clé de la nature, se situe dans une observation fondée sur la simplicité et la complexité.

L’expression de l’authenticité consiste à accepter d’exprimer les paradoxes, les contradictions. « Je suis plein de contradictions : j’ai envie d’aller avec toi au cinéma, mais en même temps, j’aurais très envie de lire un bouquin et puis, etc. » Oui d’accord, on est comme ça, ce n’est pas la peine de se refuser cela, je suis comme cela. Alors : « Je ne dis rien tant que je n’ai pas choisi. » Non, pourquoi ? On peut communiquer sur ces tiraillements. D’abord ce n’est pas très grave, ensuite cela permet de discuter, et puis peut-être que tu vas me dire, par rapport à cela, des choses qui vont me permettre de progresser, etc. Donc accepter, authentiquement, donc courageusement (courage, clé de l’authentique, clé de l’éthique) d’exprimer soi donc de me découvrir. Avant on n’osait pas se découvrir. Avant on était dans la certitude, dans le masque parce qu’il ne fallait pas se découvrir, parce que d’abord ce n’était pas viril, et ensuite, c’était risqué, parce que l’autre en profitait pour casser. Maintenant on se rend compte progressivement que l’ouverture courageuse face à soi-même, donc face aux autres, crée une fragilité mais crée en même temps une force. Là encore, paradoxe. De la même façon qu’on a le paradoxe de la petite dose, on a le paradoxe de la faiblesse qui devient force. Je parle dans mon bouquin sur le bonheur du courage du chef. Quel est le courage du chef ? Est-ce que c’est de s’envelopper dans une espèce de dureté et d’hermétisme, ou est-ce au contraire d’accepter de parler de ses faiblesses à son équipe, d’une certaine façon, sans en rougir, en disant : « Je suis comme ça, alors les gars, on va essayer de faire avec, et puis vous allez peut-être essayer de me compenser, de me compléter quand vous avez l’impression que je suis un peu trop en excès sur ce point… » Est-ce qu’on devient faible à ce moment-là ? Je ne crois pas, je crois qu’on se renforce au contraire. Donc, toutes ces notions-là sont intimement liées au service de trouver l’éthique.

Entretien réalisé le 11 décembre 2007

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