Catherine Enjolet – survie

Transcription de la vidéo

Vous avez plusieurs fois utilisé le mot “survie” vous concernant...

Oui, j’emploie le mot survie. C’est vrai que c’est plus facile pour moi d’écrire à ce sujet, que d’en parler encore. C’est plus facile. C’est la raison pour laquelle j’ai pris la plume, dans des romans ou dans des essais. Survivre, finalement, c’est tout simplement lorsqu’on ne compte pour personne, lorsqu’on n’est pas relié humainement, tout simplement on meurt. C’est aussi simple que ça. On se laisse mourir. D’ailleurs c’est le cas dans les orphelinats, on a testé. On sait très bien que les enfants, y compris ceux qui reçoivent pourtant la nourriture alimentaire, se laissent mourir et on sait que ce qui permet la survie c’est la nourriture affective, ce n’est pas la nourriture alimentaire, et que dans nos sociétés aujourd’hui on meurt davantage de sous-nutrition affective que de malnutrition alimentaire. Ce n’est pas ça le problème. Donc étant moi-même comme on dit une enfant placée, une enfant de la DDAS... Je déteste ce marquage parce que je ne me reconnais pas comme une enfant de la DDAS. Pourquoi ? parce que tout enfant a forcément un père et une mère, même si ce sont des parents empêchés.  Donc je n’aime pas ce marquage, mais en même temps j’ai un numéro de matricule, donc je suis définie par un numéro de matricule comme mes petits camarades de la DDAS. Mais précisément je crois que c’est aussi sans doute pour sortir de cette identité-là, pour se dire : “Non je ne suis pas n° 5903, je ne suis pas une enfant de la DDAS, je suis une enfant de parents, comme tout le monde. Simplement j’ai une trajectoire de vie avec des accidents de vie, et notamment de décès, qui font qu’on peut se retrouver dans cette situation-là." Mais toujours cette idée de ne pas rester dans un marquage, et pour ne pas rester dans un marquage, j’ai eu la chance, moi, de rencontrer précisément un parrain. C’est-à-dire qu’un jour un homme célibataire a simplement dit : “J’aimerais avoir une belle petite fille comme toi”, et je me suis dit : “Ah bon, je peux être une belle petite fille ?” parce que normalement, avec le numéro autour du cou, ce n’est pas terrible. Et donc, à partir de là, c’est ça la survie. La survie est là, c’est commencé, le premier pas fait que ça y est, on est comme les autres et on peut vivre comme les autres. Mais c’est tout simplement ça. Je crois d’ailleurs sans le savoir, bien sûr, parce que la vie nous joue des tours. J’ai mis du temps à comprendre que lorsque je permets à tout enfant aujourd’hui la rencontre avec un parrain et une marraine, en quelque sorte je confirme cet homme qui a simplement eu cette phrase sésame : je “comptais” pour lui et ce sont les mots, donc, de la survie. C’est pourquoi j’emploie ce terme; on survit grâce à un mot parfois.

Entretien réalisé le 8 avril 2016

 

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