Catherine Enjolet – sens de la vie

Transcription de la vidéo

On sent en vous une sorte de confiance absolue en la vie...

Cette confiance absolue, elle m’a quand même terriblement manqué, terriblement manqué. Mais précisément il arrive parfois qu’on cherche à donner aux autres ce que l’on n’a pas, c’est-à-dire qu’on peut transformer le manque aussi. Il y a une sorte à la fois presque d’attachement au manque, parce que je crois qu’on le garde, malgré tout, mais précisément, vraiment, ce qui m’importe c’est de faire en sorte que les enfants que je rencontre ne vivent pas avec ce manque-là, même si pourtant peut-être ils en font quelque chose. De toutes façons s’ils n’ont pas ce manque-là ils en auront d’autres, parce qu’on a forcément des manques à combler. Mais donner cette confiance fondamentale de compter, de compter pour quelqu’un. Alors évidemment l’amour inconditionnel… Mais précisément dans les liens du sens, ce qui est formidable c’est que c’est gratuit. Au fond, quand on vient vers moi, on ne me doit rien. Les liens du sang, on va dire on est un tout petit peu obligé, on est parents, on se doit de… Mais dans ce lien sélectif, quand quelqu’un vous approche tout simplement pour vous dire : “Voilà, tu comptes pour moi !” c’est gratuit. Et ce mot de gratuité, il est très très important pour moi. C’est le don.

Le lien, c’est ce qui nous relie. Ce qui m’intéresse dans l’engagement que je mène, le maître-mot c’est le mot rencontre. Et donc, cette rencontre c’est ce qui nous relie, et ce qui m’intéresse, chaque fois, aussi bien quand j’écris mes livres ou quand je suis dans mon engagement, c’est de me dire : “Mais qu’est-ce qui nous relie ? Qu’est-ce qui fait qu’on se rencontre ? Pour quelles choses ?”, parfois qui nous dépassent d’ailleurs. Et il y en a parfois comme des petits points de repère, comme des petits cailloux dans la vie qui nous font dire : “Ah, mais oui, mais voilà, c’est évident !” et je trouve que c’est assez magique, assez porteur, et puis que ça n’en finit pas de nous ouvrir des portes vers ce qui nous dépasse, mais en même temps ce qui nous structure à la fois.

La reconnaissance des autres, c’est important ?

Bien sûr qu’on y pense à ça, mais je crois qu’on a très vite fait d’oublier, y compris les gens qui ont fait des choses extraordinaires, qu’on laisse dans l’ombre, etc., On en est tout à fait conscient, mais ce qui leur restera à eux c’est… Véritablement ce dont je m’enrichis c’est de la reconnaissance de moi-même et d’être bien avec moi-même. Et si je peux m’enrichir par ce travail-là, c’est vraiment par cela. Je ne suis absolument pas dupe de la reconnaissance ou de la non-reconnaissance autour de moi. Mais en revanche je suis comblée par celle peut-être qui me gratifie un petit peu, au fur et à mesure, oh! c’est très lent, ce n’est pas énorme, mais ça consolide quand même et c’est par rapport à moi-même.

Vous êtes-vous demandé le pourquoi de la souffrance ? son origine  ?

Pourquoi la souffrance ? Oui, c’est une question que je me pose sans cesse, sans cesse. Là je reviens justement d’obsèques d’une de mes déléguées d’antenne, une très jeune-femme, trente-cinq ans, bien sûr le pourquoi. De la même manière que j’ai écrit un petit livre qui s’appelle Pourquoi on vit, parce que j’ai parfois des enfants qui viennent m’interroger: “Pourquoi on vit ?”  J’avoue que je me pose la question : pourquoi on vit ? pourquoi cette souffrance ? Le mot de réparation compte, bien sûr. J’ai parfois l’impression de réparer un petit peu. Parce que mon nom, je m’appelle donc Enjolet, je le disais. Enjolet, à l’origine, c’est avec un A, c’est “petit ange” et c’est le nom qu’on donne aux enfants trouvés. J’ai donc, en faisant des recherches généalogiques pour trouver ma famille, j’ai compris que j’étais d’une longue lignée d’enfants trouvés et que, probablement, lorsque je vais chercher ces enfants à l’orphelinat, ce n’est pas seulement moi Catherine Enjolet, que je vais chercher, mais c’est peut-être, je crois que ça doit être mon arrière-grand-mère ou quelque chose comme ça, que je vais sortir un petit peu de là. Oui, parce qu’on se transmet tout de même aussi cette souffrance ou cette histoire, ou en creux ce que j’appelle une empreinte émotionnelle. Nous sommes des empreintes émotionnelles. Et l’idée, lorsqu’on a des petits-enfants notamment, c'est qu'on voudrait que le territoire soit un peu aplani, qu’il n’y ait pas trop d’empreintes qui vont nous faire trébucher. Et donc peut-être, l’idée, c’est parce qu’à l’échelle du temps c’est peut-être rien d’aller réparer mon arrière grand-mère, c’est peut-être un battement d’aile de papillon, c’est rien. Aller réparer celle qui a donc eu ce nom, Anjolet, petit ange - c’est gentil d’ailleurs - et essayer de faire en sorte d’effacer les empreintes de douleur qui se sont succédées, essayer de les aplanir, essayer de proposer un territoire un peu plus neutre. Eh bien c’est peut-être simplement ce que j’essaye de faire.

Entretien réalisé le 8 avril 2016

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