Bernard Stiegler – éthique et temps

Transcription de la vidéo

Éthique et temps

Quand je suis arrivé en prison, je me suis dit : « Je n’ai rien, absolument rien, sauf du temps. » Or, rien n’est plus précieux que le temps. C’est la seule chose, finalement, qui a un vrai prix. Le reste… Le temps, ça a un prix énorme, parce que de toute façon ça passe irréversiblement. Quand c’est passé, c’est trop tard. J’avais ving-six ans. Et maintenant, j’ai la chance d’être capable de me rendre compte que le temps, ça passe, qu’il ne faut pas le gaspiller, et que ça se cultive. Vous le savez très bien. Une journée peut passer comme s’il ne s’était absolument rien passé, c’est une journée totalement perdue, ou au contraire, une journée peut changer la face du monde. Pour vous, et éventuellement pour le monde entier d’ailleurs. Donc le temps est une chose extraordinairement plastique. Et vous n’êtes pas sans possibilité d’intervenir sur cette plasticité.

Il y a quelque chose de très intéressant en prison. Tous les jours sont identiques les uns aux autres. Vous me direz, ce n’est pas tout à fait vrai, parce qu’il y a une lucarne, et vous voyez quand même que les jours peuvent raccourcir ou rallonger, qu’il peut faire beau ou qu’il peut pleuvoir. Vous le voyez, mais vous n’en profitez pas, vous ne sortez pas. Enfin quand même il y a une petite variation. Mais à part ça, qu’est- ce qui change ? La gamelle. Un jour, vous avez des fayots, le lendemain, des patates, le surlendemain, vous avez du riz, ensuite vous avez des fayots, puis des patates, puis du riz, ça change tous les trois jours. Et vous vous apercevez que cela ne change pas en réalité, parce que d’un seul coup il y a un truc qui s’installe et c’est absolument toujours la même chose. Et néanmoins, vous vous apercevez que chaque jour est différent. Alors d’où vient ce changement ? Des jours, vous allez plutôt mal, d’autres, vous allez moins mal, voire vous allez bien. Eh bien, cela vient de vous.

Entretien réalisé le 11 janvier 2008

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