Amobé Mévégué – définition de l’éthique

Transcription de la vidéo

Quelle est pour vous la définition de l’éthique ?

Donner une définition à l’éthique est très difficile pour moi, parce que c’est vrai que la frontière est très fragile, très petite entre l’éthique et la morale, mais je dirais que c’est une sorte de garde-fou que les hommes, à l’échelle de la planète, d’une manière totalement intuitive s’imposent, en fonction de leur champ civilisationnel, sémantique, culturel. Donc il y a l’éthique, la morale politique, religieuse. C’est tout cet ensemble de valeurs – je ne dirais pas de principes, parce que pour moi les principes c’est figé, les valeurs ça fluctue -, c’est tout cet ensemble d’artifices qui est mis en place par l’humanité pour régir la vie en collectivité. Je dirais, d’une manière un petit peu plus sobre, que c’est l’ensemble des valeurs qui nous permettent d’avoir une certaine trame par rapport à la vie qu’on peut se donner. Certaines personnes ont une vie qui repose essentiellement sur les fondements liés à l’éthique – on peut appeler cela comme ça –, d’autres rebondissent de gré à gré au cours de leur existence sans jamais tenir compte de ce nous nous appelons « éthique ». Donc c’est assez difficile, selon moi, de pourvoir donner une définition claire, et encore une fois il y a toujours cette petite ambivalence entre éthique et morale.

L’éthique se constituerait donc de manière un peu expérimentale dans votre conception ?

Est-ce que l’éthique se construit d’une manière expérimentale ? Selon moi, oui, parce qu’il n’y a pas un livre, il n’y a pas un endroit, à l’échelle de la planète, où l’on puisse revendiquer l’orthodoxie en matière d’écriture d’une éthique à partager pour l’humanité. Je pense que toutes les civilisations ont une manière d’appréhender la cosmogonie, la manière de légitimer la présence des hommes sur terre, mais en même temps, lorsqu’on recoupe toutes ces valeurs, on se rend bien compte qu’il y a des troncs communs, qu’il y a des valeurs communes, qui sont universelles, que la sagesse populaire... Lorsqu’on va dans la paysannerie africaine, lorsqu’on va chez les Savoyards, chez les Chtis, en Normandie, par exemple – les Chtis c’est au Nord –, mais si on va en Normandie, si on va du côté de Marseille, on se rend bien compte qu’il y a dans le terroir de chaque civilisation une manière particulière d’énoncer certains principes : le respect de la nature, le respect d’un certain nombre de choses, qui effectivement se retrouvent en Asie, en Europe, et qui font qu’il y a une sorte d’unicité dans la projection de ce que pourrait être ce package de valeurs éthiques. Donc je pense qu’effectivement c’est d’une manière intuitive que se développent ces concepts autour des valeurs morales et éthiques, et que si des spécialistes se penchent sur cette forme d’expression, on se rend bien compte à un moment qu’il y a un pont commun et que d’un continent à l’autre il y a de vraies valeurs communes, qui renvoient à une unicité de l’homme dans l’expression de l’éthique.

L’éthique serait donc quelque chose d’inné à l’intérieur de l’homme, quelle que soit la culture ?

On peut considérer que dans un champ culturel et civilisationnel ce qui pourrait être considéré comme mal peut être considéré comme bien ailleurs, mais on trouve aussi des valeurs communes. C’est pour ça que je pense qu’il y a une espèce d’expression intuitive de l’humanité sur ces valeurs-là, qui sont totalement composites, sous certains aspects, et qui sont convergentes sous d’autres aspects. Pour répondre plus précisément à cette question, je dirais qu’il faut prendre des exemples concrets. Je pense que l’affection, le respect que l’on porte à un enfant est une valeur humaine, qui se partage à équité à l’échelle planétaire. Je pense que si l’on creuse un peu, on peut évoquer la question des valeurs humaines, mais on peut aussi évoquer les questions éthiques. On n’abandonne pas un enfant. Je pense qu’à l’échelle planétaire les gens ne se sont pas envoyés des textos pour se dire : « Allez, on va tous se fixer sur un même agrégat de mesures : nous devons respecter nos enfants ! » C’est intuitif, c’est l’instinct paternel, c’est l’instinct maternel. En même temps, cela ne veut pas dire que certains parents n’ont pas des défaillances par rapport à leur progéniture. Cela veut donc dire que ce n’est pas génétiquement codifié, que ce n’est pas infaillible. C’est-à-dire que la systémique n’est pas infaillible, mais il se trouve que tous les parents, majoritairement, à l’échelle du monde, vouent une affection particulière à leurs enfants.

C’est un comportement que l’on trouve aussi dans le règne animal, alors qu’on ne parle pas d’éthique, généralement, pour les animaux.

Quels sont les liens qui peuvent exister entre les hommes et les animaux dans le sens de ce qu’on exprime lorsqu’on parle de vie en collectivité ? Je me considère d’abord comme un mammifère; je suis un mammifère comme les autres, sauf que je suis doué de la faculté de langage, donc je pense dans les mots, je peux articuler une pensée, etc. Depuis quelques temps je regarde beaucoup les documentaires animaliers, notamment avec mes enfants, et je suis troublé par le comportement de certains animaux, qui renvoient aussi à la gente humaine. Vous avez tous vu cette image extraordinaire d’une biche qui se fait dorloter par un lion. A un moment donné on se pose la question – je ne sais pas si on peut parler de valeur éthique : « Pourquoi ce lion n’a-t-il pas dévoré cette biche à un moment donné ? », et par opposition : « Pourquoi la valeur de la vie humaine est-elle réduite à portion congrue dans la main de certains décideurs politiques, ou de certains citoyens qui ont décidé que la lutte armée, le conflit ou l’exécution de son semblable humanoïde était totalement légitime ? » On peut se poser la question de savoir, en termes de projection de valeurs éthiques et morales, si certains animaux, à certains égards – et je ne frôle pas la provocation – ne sont pas au même niveau que nous. On a vu d’ailleurs l’expérience récente, je ne sais plus dans quelle université, où le calcul mental de certains chimpanzés dépasse celui de certains étudiants en faculté de mathématiques. Donc cela doit donc rendre l’homme beaucoup plus modeste, d’abord sur le rôle qu’il joue dans la systémique des planètes, et ça doit surtout nous rendre beaucoup plus modestes aussi dans l’appréhension de notre vie en collectivité citoyenne : quelles sont les valeurs qui nous animent ? Pourquoi est-ce que ce n’est pas la barbarie ? Quels sont les codes qui régissent ? Bien sûr il y a les lois, les lois qu’édictent les parlements, donc les lois sociales, mais il y a aussi les lois naturelles, les lois de l’ordre de la métaphysique et qui renvoient, une fois de plus, à la morale ou à l’éthique. Je pense que nous sommes en responsabilité particulière des mammifères comme les autres, mais doués de facultés particulières qui nous permettent d’avoir un regard détaché de nous-mêmes et d’avoir une projection de l’humanité ; et en ce sens, par rapport aux autres animaux qui composent cet environnement planétaire, nous avons une double responsabilité : celle d’abord de protéger nos congénères, mais aussi de protéger l’environnement. Cela renvoie encore une fois à l’éthique, puisque dans éthique il y a environnement, dans éthique il y a santé – on a parlé de bioéthique, par exemple. L’éthique est partout : elle est en philosophie, elle est en politique, elle est en action sociale. L’éthique est intrinsèque à nos vies au quotidien. Alors je ne suis pas sûr que chez les animaux il n’y ait pas une dimension qui soit proche de celle que je viens d’énoncer ; simplement, nos cerveaux d’humains n’ont pas encore les facultés suffisantes pour les décrypter.

Entretien réalisé le 10 janvier 2008

Les commentaires sont fermés.