Alain Cugno – caractères et vertus éthiques

Transcription de la vidéo

Quels sont les caractères éthiques qui vous ont été le plus nécessaires dans votre vie ?

Les caractéristiques éthiques les plus nécessaires ? Je dirais d’abord le courage, et une forme de courage très particulière : le courage contre la complaisance. Je suis quand même quelqu’un de fondamentalement non agressif, j’ai horriblement peur de faire de la peine et par conséquent je me laisse très facilement gagner par n’importe quel environnement qui m’empêche de vivre comme je veux vivre. Et le courage consiste à accepter de rompre, le courage consiste à pouvoir s’en aller quand on est dans une situation où l’on ne veut pas rester. Mais c’est extrêmement difficile, extrêmement difficile. Ça c’est le premier trait.

Le deuxième trait, je dirais la sincérité, c'est-à-dire le fait d’échapper aux croyances non fondées ou mal fondées. Mon maître Desanti disait, dans une formule admirable, que « nous croyons ce que nous pensons pouvoir faire croire à un autre. » Et cette formule explique tous les fanatismes, tous les embrigadements : lorsque ce que je vais dire sera approuvé, je crois que c’est vrai. Or la sincérité consiste à mettre en question ce genre de choses. Et ça n’est pas parce que l’on m’approuvera que c’est nécessairement vrai, comme ce n’est pas parce que l’on me désapprouvera que c’est nécessairement faux. Donc il y a un style de sincérité qui consiste à ne pas tenir compte de l’accueil que recevra la parole que l’on donne, ça c’est la deuxième caractéristique.

La troisième caractéristique, c’est l’amitié. Je tiens l’amitié pour une forme éthique très haute. Et l’amitié consiste à vivre de la liberté d’un autre.

La quatrième caractéristique est plus difficile à définir. C’est une forme de fluidité, on pourrait l’appeler l’humilité, mais c’est connoté d’une manière extrêmement variée. C’est la capacité à se laisser déplacer par les événements, ne pas tenir à des principes, comme on dit, accepter que les règlements que l’on s’impose à soi-même puissent être balayés par quelque chose.

Voilà, je crois, les quatre clés qui pour moi ont relativement fonctionné dans la vie éthique.

Est-ce que vous pouvez approfondir cette notion de « vivre de la liberté d’un autre » ?

C’est un peu ce qu’on disait au début, quand on essayait de définir l’éthique et comment on pouvait enseigner l’éthique. Je ne peux pas découvrir avec mes propres capacités les potentialités qui sont les miennes. Il faut qu’on me l’apprenne. Personne ne peut me l’apprendre en disant : voilà, on t’a fait passer tel et tel test et donc ta personnalité, c’est ceci ou cela. En revanche, je peux voir dans le style, dans un ton de voix, dans une manière de se comporter, quelque chose qui fait écho en moi et qui m’apprend ce que je peux et ce que je dois vivre. Or je crois que c’est ça l’amitié, c'est-à-dire l’ami – cette définition est d’Aristote dans L’Éthique à Nicomaque. L’ami c’est celui qui me donne ce que je n’ai pas, d’une façon totalement générale. Et par conséquent, l’ami c’est celui qui me donne la liberté parce qu’il est libre. Donc vivre de la liberté d’un autre, c’est recevoir de lui quelque chose qu’il ne m’a pas donné, mais que j’ai trouvé en moi et que je n’aurais jamais trouvé s’il n’avait pas eu tel geste, telle parole, tel comportement.

Entretien réalisé le 16 octobre 2007

 

 

Les commentaires sont fermés.